Les algorithmes vont-ils dominer le monde ? L’interview d’Aurélie Jean

Alt est une collection de courts essais engagés pour les ados et jeunes adultes publiés par les éditions de La Martinière. Aurélie Jean, scientifique en algorithmique, entrepreneure et autrice, nous aide à comprendre dans Algorithmes bientôt maîtres du monde ? quels sont les enjeux scientifiques, et éthiques de l’Intelligence Artificielle.

Aurélie Jean, autrice de Algorithmes bientôt maîtres du monde ?

L’interview

Pourquoi parler aujourd’hui des algorithmes auprès des ados est important à vos yeux ?

Les ados et les étudiants sont très à l’aise avec les technologies numériques qu’ils utilisent au quotidien mais ne connaissent pas et ne s’interrogent pas assez sur leur fonctionnement algorithmique. Contrairement aux séniors qui me posent les questions les plus pertinentes et qui me surprennent souvent ! (rires…) Par ce petit essai, je souhaite déclencher chez chaque jeune une certaine curiosité et une prise de conscience nécessaires à la maîtrise de ces outils algorithmiques.

Vous insistez sur la différence entre « algorithme » et « intelligence artificielle ». Pourquoi faut-il bien distinguer les deux termes ?

L’intelligence artificielle est un mot que je n’aime pas trop, car il crée de la confusion chez les individus. On ne précise pas de quelle intelligence on parle : analytique, émotionnelle, créative, pratique… En réalité, il faudrait parler d’intelligence analytique artificielle, ce qui est bien moins vendeur… (rires…). Je préfère parler d’algorithmes, construits et fonctionnant sur des jeux de données, ce que nous faisons en pratique quand nous développons ces modèles algorithmiques.

Vous dites que la science algorithmique doit faire partie des matières à aborder durant la scolarité. Concrètement, en quoi consiste cette science algorithmique ? Est-ce seulement découvrir la programmation informatique ?

Contrairement à ce que vous pourriez imaginer, apprendre l’algorithmique ne suppose pas directement la programmation informatique. J’ai passé mes six premiers mois en sciences informatiques avec un papier et un crayon à écrire des algorithmes à la main. Aussi, la science algorithmique suppose la maîtrise de nombreux concepts en mathématiques et en statistiques, qui ne nécessitent aucun ordinateur au départ.

« Il faut cultiver sa curiosité pour des disciplines transverses, car on ne sait jamais dans quel domaine on concevra des algorithmes. »

Vous présentez de nombreux progrès apportés par les algorithmes (santé, transports, industrie, communication, automatisation…) ? Vous insistez aussi sur les risques. Quels sont pour vous ceux qui vous paraissent les plus importants pour notre époque ?

Les enjeux que j’évoque dans le livre sont d’ordre social, économique, démocratique et environnemental. Les enjeux sociaux par les risques de discrimination technologique, qui induit un traitement différent et injuste de certaines populations comme les femmes, les séniors, ou les personnes de couleur (minoritaires chez les concepteurs). Les enjeux démocratiques par les risques de manipulation d’opinion, la propagation de fausses nouvelles, la polarisation ou encore l’incitation à la haine et le harcèlement sur les réseaux sociaux. Les enjeux environnementaux liés à la consommation croissante d’énergie pour construire certains algorithmes, et liés à l’extraction et l’exploitation de matières premières pour la construction de matériels informatiques comme des serveurs, des téléphones, des ordinateurs ou des outils connectés. Enfin d’autres enjeux sociétaux liés au digital labor qui impliquent l’exploitation de main-d’œuvre à bas coûts dans des conditions inacceptables, pour nettoyer et annoter de la data, ou encore modérer des contenus à la main.

À une jeune fille ou un jeune garçon qui veut se lancer dans ces nouvelles sciences algorithmiques et notamment l’intelligence artificielle, quels conseils pourriez-vous lui donner ?

De cultiver sa curiosité pour des disciplines transverses, car on ne sait jamais dans quel domaine on concevra des algorithmes. Pour ma part, j’ai travaillé dans l’ingénierie des matériaux à l’échelle nanoscopique, dans la médecine cardiaque et neurologique, dans la finance, l’économie, le journalisme et plus récemment dans la parfumerie et la médecine de précision pour la détection précoce du cancer du sein…

Je leur dirais aussi de s’ouvrir au monde et aux autres individus différents d’eux… Notre pouvoir d’influence sur le monde est grand, nous devons prendre nos responsabilités en nous interrogeant constamment sur nos motivations et les conséquences de nos développements. C’est ainsi que l’on construira des technologies inclusives pour tous et par tous !

 

• Autrice : Aurélie Jean
• Éditeur : La Martinière Jeunesse
• 32 pages
• Prix : 3.50 €